Diabète, hypertension : la pandémie de Covid-19 pourrait entraîner une flambée des maladies chroniques


Le nombre de patients traités pour de l’hypertension et du diabète augmente. La baisse d’activité physique, l’augmentation de la sédentarité et la prise de poids liés aux confinements pourraient en être les causes.

Au fil des mois, des dégâts collatéraux de la pandémie de Covid-19 se sont accumulés chez les patients atteints d’autres pathologies, rançon de la désorganisation massive des soins. Mais, au-delà, le bouleversement prolongé de nos habitudes de vie – avec, pour beaucoup, davantage de temps passé assis, moins d’activité physique et une prise de poids – est-il susceptible d’engendrer une flambée de maladies chroniques comme le diabète ou l’hypertension artérielle (HTA) ?

« Si nous ne restons pas actifs, nous courons le risque de créer une autre pandémie de mauvaise santé. Le résultat d’un comportement sédentaire », alertait, dès novembre 2020, le directeur de la promotion de la santé à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le docteur Ruediger Krech. Des données solides manquent encore, mais plusieurs indices suggèrent qu’une bombe à retardement pourrait bien être en train de s’amorcer.

L’instauration de traitements cardio-vasculaires et antidiabétiques – c’est-à-dire des prescriptions correspondant à de nouveaux malades – est en « hausse marquée » depuis début 2021, conclut le dernier rapport d’Epi-Phare, groupement scientifique constitué par l’Assurance-maladie et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). L’augmentation est de 14,7 % pour les médicaments antihypertenseurs, de 11 % pour les antidiabétiquess et de 24 % pour les statines – qui traitent l’excès de cholestérol –, par rapport aux résultats attendus. Ces référentiels sont calculés à partir des chiffres de consommation de 2018 et 2019 et en tenant compte de l’évolution prévisible du nombre de nouveaux patients.

Plus de sédentarité et de grignotage

« Nous n’avons jamais vu une hausse aussi importante concernant le diabète, s’inquiète le docteur Alain Weill, directeur adjoint d’Epi-Phare. Il y a eu moins d’instaurations de traitements au début du premier confinement, puis un rattrapage vers la fin de l’année 2020, mais, aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le rattrapage. » Pour le docteur Jean-François Thébaut, vice-président de la Fédération des diabétiques, « certaines de ces personnes avec un diabète débutant ont peut-être loupé la phase avant le traitement, où le médecin recommande de faire attention en faisant de l’activité physique et en surveillant l’alimentation ».

Outre les traitements antidiabétiques, cette progression récente des nouvelles prescriptions s’explique par « les effets de la sédentarité, la baisse de l’activité physique de base, de loisirs, le changement de l’alimentation avec plus de grignotage. Or on sait que l’activité physique est extrêmement efficace dans toutes les pathologies cardio-vasculaires et le diabète. C’est un signal d’alerte », insiste Alain Weill.

De fait, plusieurs enquêtes – dont la plupart portent sur le premier confinement, le plus brutal et le plus strict, du 17 mars au 11 mai 2020 – ont attesté de ces modifications profondes du mode de vie. « En comparant à leurs pratiques d’avant le confinement, 47 % des répondants ont déclaré avoir diminué leur activité physique et 61 % avoir augmenté leur temps quotidien passé assis », constate ainsi l’enquête CoviPrev de Santé publique France (SPF). L’enquête Nutrinet retrouve des résultats équivalents. Un recul d’autant plus préoccupant que la population française était déjà peu active avant la pandémie, avec seulement 71 % des hommes et 53 % des femmes atteignant les recommandations d’au moins trente minutes d’activité physique (AP) par jour.

Près d’un Français sur deux en surpoids ou obèse

Parallèlement, pendant les deux mois du confinement du printemps 2020, ils sont 35 % à avoir grossi (+ 1,8 kilo en moyenne), selon Nutrinet. A première vue, cette prise de poids peut sembler modeste, mais c’est beaucoup plus chez certains patients, selon les médecins que nous avons interrogés. Surtout, le surpoids et l’obésité sont en train de devenir la norme, puisque près d’un Français sur deux est concerné par l’un ou l’autre, comme le confirme la photographie la plus récente de la corpulence des Français (enquête ObEpi, menée à l’automne 2020, et dont les résultats sont présentés ce 30 juin). Si la part du surpoids est en léger recul (30,3 %, soit moins deux points par rapport à la précédente édition de 2012), celle de l’obésité est désormais de 17 % (contre 15 % en 2012). Cette évolution sonne d’autant plus comme un clignotant d’alerte que l’obésité est fortement corrélée au diabète et à l’HTA : dans l’étude ObEpi, 36 % des personnes obèses suivent un traitement antihypertenseur (contre 20 % de la population générale), et 20 % sont soignées pour un diabète (soit de 2 à 4 fois plus que la population générale, selon les données épidémiologiques auxquelles on se réfère).

Qu’en est-il dans les consultations médicales ? « Ces derniers temps, je fais davantage de diagnostics d’HTA et de diabète, et je constate plus de déséquilibres de diabète chez des patients qui étaient stables auparavant, ce qui entraîne des ajustements thérapeutiques », explique le docteur Julie Dupouy, généraliste en banlieue toulousaine. Elle décrit aussi ceux qui étaient dans une dynamique de perte de poids et qui stagnent. « J’avais rarement vu des diabètes aussi déséquilibrés, idem pour la tension artérielle, les triglycérides et le cholestérol, abonde le docteur Alexandre Feltz, généraliste à Strasbourg. Des personnes en surpoids sont passées au stade de l’obésité, des patients obèses le sont devenus plus gravement encore. »

Un constat de terrain partagé par des spécialistes. S’agissant du diabète de type 2, pour lequel 5,2 % des Français reçoivent un traitement (selon SPF), il est cependant encore trop tôt pour savoir si sa prévalence a augmenté depuis la crise. « Depuis quelques mois, nous sommes très sollicités par des médecins généralistes, nos collègues des réseaux ville-hôpital, mais aussi d’autres services du CHU pour donner un avis concernant des personnes avec un diabète découvert récemment ou déjà traité mais déséquilibré », raconte le professeur Bruno Guerci, chef du service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition au CHU de Nancy.

Une situation qui tranche avec le début de la pandémie. « Pendant le premier confinement, nos patients ont gardé un équilibre glycémique satisfaisant, souligne le diabétologue qui a mené une étude auprès de 870 diabétiques de type 1 et 2 suivis dans son hôpital (publication sous presse dans la revue Diabetes Therapy). Au début, ils ont fait des stocks de médicaments par sécurité puis, dans la grande majorité, ils ont été très observants de leur traitement, malgré l’arrêt des suivis médicaux de visu. » Un résultat plutôt rassurant, qui témoigne, selon Bruno Guerci, de la culture de l’éducation thérapeutique chez les diabétiques et d’un système de santé qui a tenu le choc malgré l’épidémie.

Des prescriptions mieux suivies

« On dit souvent que les maladies cardio-vasculaires sont des pathologies de l’environnement. Avec cette pandémie, c’en est une démonstration concrète et on voit déjà des conséquences des modifications de l’hygiène de vie, observe la professeure Claire Mounier-Vehier, cardiologue au CHU de Lille. Je suis amenée à augmenter les doses de médicaments de mes malades cardiaques chroniques, voire à en ajouter de nouveaux. »

Le cardiologue Xavier Girerd (CHU la Pitié-Salpêtrière, Paris), qui préside la Fondation de recherche sur l’hypertension artérielle, a, lui, une autre interprétation. « Je ne vois pas comment, en seulement quelques mois, des modifications du mode de vie pourraient entraîner une augmentation des cas d’HTA, dit-il. Pour moi, cette hausse de la consommation de médicaments pour prévenir les maladies cardio-vasculaires est un possible effet de la crise sanitaire, qui a conduit une partie de la population à suivre plus sérieusement ses prescriptions, faisant écho aux messages sur la nécessité de préserver sa santé. » Des messages probablement d’autant plus entendus que l’HTA tout comme le diabète et l’obésité ont assez vite été identifiés comme des facteurs de risque de forme grave de Covid-19. Ce ne sont pas de nouveaux patients mais un rattrapage, estime le professeur Girerd, qui depuis plusieurs années alerte les autorités sur une baisse de la prise en charge de l’hypertension.

« Alors que l’HTA augmente mécaniquement dans la population, du fait du vieillissement, la part des personnes traitées diminue, comme le montrent nos enquêtes régulières chez les plus de 35 ans, poursuit-il. En 2020, 27 % recevaient un traitement antihypertenseur, contre plus de 30 % en 2009. Cette dégradation préoccupante, qui a de multiples raisons, existe aussi pour les statines dont la consommation a été quasiment divisée par deux ces dernières années. »

Ces évolutions vont en tout cas être scrutées dans les prochains mois. Mais, pour certains, il y a urgence à rebouger. « C’est sûr, il y aura une quatrième vague de santé mentale, mais il y aura sans doute une cinquième vague de maladies métaboliques », craint le docteur Feltz. Ce pionnier du sport sur ordonnance est l’un de ceux qui appellent à un vaste plan de remise en mouvement.

Source : Le Monde – https://www.lemonde.fr