Du vélo pour lutter contre les troubles de l’attention
Mike Sinyard, créateur de la marque Specialized, est un homme d’affaires redoutable, mais aussi un idéaliste, qui envisage la pratique du cyclisme comme remède à tous les maux. C’est dans cet esprit que sa fondation vise à lutter contre les troubles de l’attention, et contre l’échec scolaire en général.
On n’apprend pas tant avec sa tête ou son cerveau qu’avec le corps tout entier : tel est le nouveau mantra de la pédagogie. Et l’immobilité forcée liée à la position assise, agit souvent comme un frein à la bonne intégration des connaissances. Sur cette base, certains enseignants préconisent de laisser plus de liberté de mouvement à ces élèves qui « ne tiennent pas en place ». Partout dans le monde, on voit fleurir diverses expériences visant à intégrer la mobilité corporelle à l’apprentissage : sièges traditionnels remplacés par des ballons de gym, liberté d’aller et venir, interruptions fréquentes consacrées à l’exercice physique, voire petits pédaliers placés sous le pupitre de l’élève.
Mike Sinyard est le créateur et directeur général de la marque Specialized, qui fournit en vélos une bonne partie du peloton pro (notamment les teams Bora-Hansgrohe et Deceunink-Quick Step). Il n’est donc ni neurologue, ni pédagogue. Pourtant, ce rôle fondamental du mouvement dans l’acquisition des connaissances, il en avait l’intuition depuis longtemps. Il se souvenait de ses propres difficultés de concentration en tant que lycéen, et du mal qu’il avait à se focaliser sur l’étude. Il faisait lui-même partie de ces élèves pour qui l’immobilité est une torture.
Le vélo comme remède
C’est bien plus tard, quand son propre fils devenu adolescent fut déclaré souffrant de TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyper-activité), qu’il fit le rapprochement et qu’il comprit qu’il avait lui-même échappé à un diagnostic pas encore systématique dans les années 1960.
Selon l’usage d’une psychiatrie américaine très médicalisée, son enfant se voit prescrire de la Ritaline (un psychostimulant couramment prescrit, apparenté aux amphétamines). Mais il la supporte mal et s’en plaint à son père. Lequel hésite d’autant moins à la lui supprimer qu’il ne tarde pas à s’apercevoir que, chaque fois qu’ensemble, père et fils, ils vont rouler, le garçon se sent mieux. Apaisé par l’effort, il semble plus capable d’affronter le travail scolaire.
Il ne faudra plus que la lecture d’un article relatant un cas similaire pour que Mike Sinyard prenne le taureau par les cornes et commence à se renseigner, auprès de son médecin d’abord. Il comprend alors que si les effets bénéfiques de l’exercice (et en particulier de son sport favori) sur le TDAH ne sont pas mieux établis ou mieux connus, c’est simplement qu’il n’existe pas d’étude sur le sujet. Rien d’étonnant dans un monde où les études en question sont souvent financées par les laboratoires en quête d’un brevet, et d’un médicament à vendre.
Pour tous les élèves
C’est ainsi que débute l’histoire de la Fondation Specialized et du programme Ride for Focus. En 2012, la marque de vélo parraine une étude avec l’université de Harvard, puis Stanford. Le programme est de soumettre différents groupes d’élèves en difficulté à des tests psychologiques l’après-midi, après qu’ils ont, ou pas, roulé 30 minutes le matin.
Non seulement on observe quelques guérisons spectaculaires d’enfants très mal partis retrouvant la voie d’une scolarité normale mais, d’une façon générale, l’étude établit des liens solides entre l’activité physique et le renforcement de l’attention, la réduction de l’anxiété ou des symptômes dépressifs.
La mise en place du projet Ride for Focus s’ensuit. Il s’agit d’introduire la pratique du cyclisme dans les programmes scolaires. Aujourd’hui, plus de 120 écoles aux États-Unis y adhèrent, contribuant à la fois à la réussite de leurs élèves mais aussi à une meilleure connaissance du TADH.
Enfin, le programme Ride for Focus a montré que l’amélioration du bien-être et des résultats scolaires par la pratique du cyclisme s’étendait bien au-delà de troubles spécifiques, tel le TDAH. Il concerne absolument tous les enfants, y compris les déjà bons élèves.
Ainsi, le projet initial de Mike Sinyard ne s’est pas limité à cette légitime croisade contre un médicament rentable et abusivement prescrit. Et l’homme d’affaires redoutable se double d’une sorte de bon pasteur du cyclisme : car pédaler, il en a fait la preuve, augmente les chances d’être heureux.
Source : L’Équipe – https://www.lequipe.fr